UN Headquarters

12/12/2016

Discours du Secrétaire général désigné, António Guterres, prononcé à l'occasion de sa prestation de serment

António Guterres

The ninth Secretary-General of the United Nations, António Guterres, addressed the General Assembly on 12 December 2016 after taking the oath of office, which was administered by Peter Thomson, President of the 71st session of the General Assembly. UN Photo/Eskinder Debebe

Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,
Excellences,
Mesdames et messieurs,
 
Je vous remercie de toutes ces aimables paroles. Je suis profondément honoré que les États Membres aient placé leur confiance en moi  et je suis déterminé à guider mon action sur les buts et principes énoncés dans la Charte.
 
Je tiens à commencer par rendre hommage au Secrétaire général, Ban Ki-moon.
 
Monsieur le Sécrétaire général,
 
Incarnant une autorité morale à la tête de l’Organisation des Nations Unies, vous avez su poser les grandes lignes de son action future grâce, par exemple, au Programme de développement durable à l’horizon 2030, à votre engagement en faveur de la paix et de la sécurité, ou encore à votre décision de placer les droits de l’homme au cœur de nos activités.  
 
C’est sous votre direction qu’a été conclu l’Accord de Paris sur les changements climatiques, qui marque un tournant historique et a été ratifié en un temps record.  Je suis convaincu qu’il s’agit là d’une dynamique irréversible.  
 
Monsieur le Président,
 
Il y a 21 ans, je prêtais un autre serment et devenais Premier Ministre du Portugal.  Une vague d’optimisme soulevait alors de nombreuses espérances dans le monde.   La guerre froide était terminée; d’aucuns y voyaient la fin de l’histoire. Ils annonçaient  un avenir de paix et de stabilité, dans lequel tous pourraient jouir de la croissance économique et vivre dans la prospérité.
 
Mais la fin de la guerre froide n’a pas été la fin de l’histoire. Au contraire, l’histoire s’est seulement figée par endroits, et quand l’ordre ancien s’est effondré, elle est revenue se venger.

Des tensions et contradictions sous-jacentes ont ressurgi. De nouvelles guerres ont éclaté et d’anciens conflits se sont rallumés.  La confusion des rapports de pouvoir a rendu l’avenir encore plus imprévisible et favorisé l’impunité.
 
Les conflits sont plus complexes et interdépendants que jamais. Ils donnent lieu à d’atroces violations des droits de l’homme et du droit humanitaire international.  Depuis plusieurs décennies, le nombre d’êtres humains contraints d’abandonner leur foyer et de tout quitter n’a jamais été aussi élevé.  Et il faut également faire face à une nouvelle menace : le terrorisme mondial.
 
Les grandes tendances contemporaines, et notamment les changements climatiques, la croissance démographique, l’urbanisation rapide, l’insécurité alimentaire et la pénurie d’eau, n’ont fait qu’aggraver la concurrence pour les ressources, attiser les tensions et augmenter l’instabilité.
 
Monsieur le Président,
 
Il est vrai que les vingt dernières années ont aussi vu d’extraordinaires avancées technologiques. L’économie mondiale a connu la croissance,  les indicateurs sociaux de base se sont améliorés et la part de la population mondiale vivant dans la pauvreté absolue a diminué de manière spectaculaire.
 
Cependant, la mondialisation et les avancées technologiques ont aussi creusé les inégalités. Il y a eu beaucoup de laissés-pour-compte, y compris dans les pays développés, où des millions d’emplois ont disparu tandis que les emplois créés étaient souvent inaccessibles pour beaucoup.  Le chômage des jeunes a explosé. Et la mondialisation a aussi favorisé le développement de la criminalité organisée et des trafics.
 
Tout cela n’a fait qu’élargir la fracture entre les peuples et les élites politique.  Certains pays font face à une instabilité de plus en plus marquée, des troubles sociaux, voire même des actes de violence et des conflits.
 
Les électeurs ont aujourd’hui tendance à rejeter le statu quo et toutes les propositions sur lesquelles ils doivent se prononcer par référendum. Beaucoup de gens ont perdu confiance non seulement dans l’État, mais aussi dans les institutions mondiales, et notamment dans l’Organisation des Nations Unies.
 
Monsieur le Président,
 
Trop de décisions, partout dans le monde, sont dictées par la peur.
 
Nous devons comprendre l’angoisse des populations et répondre à leurs besoins, sans perdre de vue nos valeurs universelles.
 
L’heure est venue de tisser de nouveaux liens entre les peuples et leurs dirigeants à l’échelle nationale et internationale. L’heure est venue pour les dirigeants d’écouter le peuple, de lui montrer qu’ils veulent son bien, et qu’ils sont attachés à la  stabilité mondiale dont nous dépendons tous.
 
Et l’heure est venue pour l’Organisation des Nations Unies d’en faire autant, de reconnaître ses lacunes et de changer ses méthodes de travail. L’Organisation est la pierre angulaire du multilatéralisme et elle contribue depuis des décennies à une paix relative. Mais elle n’est plus en mesure de répondre aux défis contemporains. Elle doit être prête à se réformer.
 
Notre véritable point faible, et je m’adresse ici à la communauté internationale dans son ensemble, réside dans notre incapacité à prévenir les crises.
 
L’Organisation des Nations Unies est née sur les cendres de la guerre. Aujourd’hui, c’est pour assurer la paix que nous sommes là.
 
Monsieur le Président,
 
Pour prévenir les conflits, nous devons nous attaquer à leurs causes profondes à travers les trois piliers des Nations Unies : la paix et la sécurité, le développement durable et les droits humains. Cela doit être la priorité de tout ce que nous faisons.
 
La prévention exige que nous soutenions plus les pays dans leurs efforts pour renforcer leurs institutions et rendre leurs sociétés plus résilientes. 

Il s’agit aussi de rétablir les droits humains comme une valeur fondamentale qui doit être défendue en tant que telle, et non à des fins politiques. Tous, y compris les minorités de tout genre, doivent pouvoir jouir de l’ensemble des droits humains – civils, politiques, économiques, sociaux et culturels – sans aucune discrimination.
 
Protéger et autonomiser les femmes et les filles est primordial. L’égalité des sexes est essentielle au développement, et le rôle clef qu’elle joue dans la consolidation et le maintien de la paix devient de plus en plus indéniable.
 
La prévention n’est pas un concept nouveau : c’est ce que les fondateurs des Nations Unies nous ont demandé de faire et elle constitue le meilleur moyen de sauver des vies et d’alléger les souffrances humaines.
 
Lorsque la prévention échoue, nous devons redoubler d’efforts pour régler les conflits.
 
Qu’il s’agisse de crises aiguës, en Syrie,  au Yémen, au Soudan du Sud, ou ailleurs, ou de différends de longue date comme le conflit israélo-palestinien, il faut davantage de médiation, d’arbitrage et de diplomatie créative.
 
Je suis prêt à m’engager personnellement à travers mes bons offices dans le règlement des conflits lorsque cela constitue une plus-value, tout en reconnaissant le rôle de premier plan des États Membres.
  
Monsieur le Président,
 
L’échelle des défis auxquels nous sommes confrontés nous contraint à travailler de concert, pour réformer l’Organisation de manière approfondie et continue. Je souhaiterais esquisser ici trois priorités stratégiques pour cette réforme : notre travail en faveur de la paix; notre appui au développement durable; et notre gestion interne.
 
Les femmes et les hommes qui travaillent dans les opérations de maintien de la paix des Nations Unies nous apportent une contribution héroïque au péril de leur vie. Toutefois, ils se voient souvent confier la tâche de maintenir une paix qui n’existe pas. Nous devons donc nous entendre sur ce que recouvre  le travail de maintien de la paix, afin de jeter les bases d’une réforme urgente.
 
Nous devons faire de la paix le fil conducteur qui relie la prévention et le règlement des conflits, le maintien et la consolidation de la paix, et le développement. Nous devons nous appuyer sur les conclusions des trois récents rapports, ainsi que les résolutions parallèles de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité. Le moment est venu pour nous tous, inspirés par le nouveau concept de pérennisation de la paix, de nous engager dans une réforme globale de la stratégie, des opérations et des structures des Nations Unies visant la paix et la sécurité.
 
Cette réforme doit également inclure un examen de notre travail dans le domaine de la lutte antiterroriste, et un meilleur mécanisme de coordination entre les 38 entités des Nations Unies concernées.
 
Monsieur le Président,
 
Le système des Nations Unies n’a pas encore  fait suffisamment pour prévenir et réprimer les crimes odieux de violence et d’exploitation sexuelle perpétrés sous la bannière de l’ONU contre ceux que nous sommes censés protéger.
 
Je compte coopérer étroitement avec les États Membres sur des mesures structurelles, juridiques et opérationnelles qui feront de la politique de tolérance zéro une réalité. Nous devons travailler dans la transparence et le respect du principe de responsabilité, en offrant une protection et des voies de recours efficaces aux victimes.
 
Monsieur le Président,
 
Le deuxième élément clef du programme de réforme a trait à l’aide que l’Organisation des Nations Unies doit apporter aux États Membres pour leur permettre d’atteindre les objectifs de développement durable, expression de solidarité mondiale qui porte en elle la promesse de ne pas faire de laissés-pour-compte.
 
À cette fin, nous devrons remettre le développement au cœur de notre activité et engager une vaste réforme du système des Nations Unies pour le développement, au Siège et dans les pays. Il faudra pour cela savoir faire preuve d’esprit d’initiative, coordonner l’action menée, obtenir des résultats et faire appliquer le principe de responsabilité.  J’attends avec intérêt de découvrir les conclusions auxquelles arriveront les États Membres au terme de leurs débats en cours.
 
Il importe aussi, dès le tout début des crises, de rapprocher les interventions humanitaires de l’action menée en faveur du développement pour aider les populations touchées, remédier aux conséquences structurelles et économiques des crises et éviter que n’apparaisse une nouvelle spirale de fragilisation et de destabilisation. L’action humanitaire, le développement durable et la pérennisation de la paix sont les trois côtés d’un même triangle.
 
Cette approche renvoie à la décision de « travailler autrement » qui a été prise lors du Sommet mondial sur l’action humanitaire. Pour y parvenir, il faudra mieux faire appliquer le principe de responsabilité, dans chaque organisme, que ce soit dans l’exécution de son mandat ou dans le cadre de sa contribution à l’action du système des Nations Unies, et dans le système dans son ensemble. Pour assoir une véritable culture de responsabilité, il faudra aussi mettre en place des dispositifs d’évaluation efficaces et indépendants.
 
Monsieur le Président,
 
Le troisième grand domaine concerne la réforme de la gestion. Nous poursuivrons sur la lancée de ce qui a été entrepris et nous mettrons en œuvre les initiatives prises récemment. Mais en lisant le Statut et le Règlement du personnel ou le Règlement financier et les règles de gestion financière de l’Organisation, on peut se demander si certaines dispositions n’entravent pas l’exécution de nos mandats, plus qu’elles ne la facilitent.
 
Nous devons nous entendre sur le fait qu’il faut simplifier et décentraliser, et assouplir les règles. Personne n’est gagnant quand il faut neuf mois pour déployer du personnel sur le terrain.
 
L’ONU doit être agile et efficace. Elle doit privilégier le résultat plutôt que la procédure, l’être humain plutôt que la bureaucratie.
 
Pour instituer une culture de responsabilité, il faut une bonne gestion de la performance et il faut protéger efficacement les lanceurs d’alerte.
 
Et il ne suffit pas de mieux faire. Nous devons aussi mieux communiquer ce que nous faisons, de façon à ce que tout le monde le comprenne. Nous devons réformer en profondeur notre stratégie de communication en modernisant les outils et les moyens qui nous servent à communiquer avec le monde entier.
 
Enfin, la réforme de la gestion doit nous permettre d’atteindre sans tarder l’objectif de la parité hommes-femmes. En l’an 2000, l’ONU s’était fixé comme objectif l’égalité de représentation des femmes et des hommes parmi son personnel. Seize ans après, elle est loin de l’avoir atteint.
 
Je m’engage à œuvrer pour la parité hommes-femmes dès le début, lorsque je désignerai les membres du Conseil de direction et du Conseil des chefs de secrétariat. D’ici à la fin de mon mandat, nous devrions compter autant de femmes que d’hommes aux rangs de secrétaire général adjoint et de sous-secrétaire général, notamment parmi les représentants et les envoyés spéciaux.
 
Pour que la parité devienne réalité dans tout le système bien avant 2030, nous devons nous fixer des orientations claires assorties d’objectifs intermédiaires précis.

Enfin, si nous voulons investir dans une ONU plus forte, nous devons prendre en considération le personnel de l’Organisation. Je me réjouis à l’idée de travailler à nouveau aux côtés des 85 000 hommes et femmes qui exécutent le mandat de l’Organisation dans 180 pays. Ils sont nombreux à travailler dans des circonstances difficiles, voire dangereuses. Leur professionnalisme, leurs compétences et leur dévouement en font les ressources les plus précieuses de l’Organisation; nous devons les préserver, les valoriser et les employer judicieusement, et nous devons leur donner voix au chapitre.
 
Monsieur le Président,
 
Le monde dans lequel nous vivons est complexe. Pour réussir, l’ONU ne peut pas faire cavalier seul. Il nous faut mettre le partenariat au cœur de notre stratégie. Nous devrions avoir la modestie de reconnaître que d’autres acteurs jouent un rôle essentiel, tout en sachant bien que seule l’Organisation a un tel pouvoir de rassemblement.
 
Notre action humanitaire et notre travail de développement seraient dérisoires sans la participation active des États Membres et la contribution de la société civile, des institutions financières internationales, des investisseurs privés et des marchés financiers. Plusieurs initiatives de médiation et opérations de paix n’existeraient pas sans la participation des organisations régionales, notamment de l’Union africaine.
 
Avec nos partenaires, nous avons récemment entrepris d’importants projets. Nous devons les mener à bien jusqu’au bout avant d’en lancer de nouveaux.
 
Mais ce qui manque à notre stratégie, c’est la collaboration avec les jeunes. Cela fait trop longtemps qu’on les tient à l’écart des décisions qui concernent leur avenir.
 
Nous devons poursuivre l’action engagée avec l’appui des États Membres, de l’Envoyé pour la jeunesse et de la société civile. Mais il ne s’agit pas de charger les anciens de débattre des problèmes des nouvelles générations.  L’ONU doit donner aux jeunes les moyens d’agir, de participer davantage à la vie de la société et de mieux accéder à l’éducation, à la formation et à l’emploi.
 
Monsieur le Président,
 
Le grand paradoxe du monde actuel, c’est qu’en dépit d’une connectivité grandissante, les sociétés se fragmentent. De plus en plus de gens vivent dans leur bulle, sans comprendre que leur existence est liée à celle du reste de l’humanité.
 
Finalement, c’est une question de valeurs. Nous voulons léguer à nos enfants un monde guidé par les valeurs consacrées dans la Charte des Nations Unies : la paix, la justice, le respect, les droits de l’homme, la tolérance et la solidarité. Ce sont là des valeurs communes à toutes les grandes religions, et nous nous employons à les concrétiser dans notre vie quotidienne.
 
Quand ces valeurs sont menacées, c’est le plus souvent par peur. Il est de notre devoir envers ceux que nous servons de travailler ensemble pour changer cette peur en confiance : la confiance dans les valeurs qui nous unissent et dans les institutions qui œuvrent à notre service et à notre protection.
 
Dans ma contribution à l’Organisation des Nations Unies, je m’emploierai à inspirer la confiance en faisant tout ce qui est en mon pouvoir pour œuvrer au service de l’humanité tout entière.
 
Merci.